Polyhandicap : « On ne force pas quelqu’un à manger. On essaie de comprendre pourquoi et d’agir sur les causes »
Irène Benigni, diététicienne spécialisée dans la nutrition des sujets polyhandicapés a donné plusieurs conseils pratiques pour faciliter l’alimentation des polyhandicapés, à l’occasion des Journées Francophones de Nutrition.
« ″Manger est le seul plaisir qui leur reste″, entend-on souvent de la bouche des proches ou aidants. Seulement pour le polyhandicapé, ce n’est pas toujours le cas », fait remarquer Irène Benigni, diététicienne spécialisée dans la nutrition des personnes en situation de handicap. A l’occasion des Journées Francophones de Nutrition, elle a fait le point sur les troubles de l’oralité chez le polyhandicapé adulte et a donné quelques conseils pour faire en sorte que ce moment ne devienne pas un véritable « combat pour vivre ».
La crainte du danger lorsqu’il y a risque de la fausse route, le déplaisir lorsqu’il y a un trouble sensoriel de l’oralité ou encore l’inconfort lié aux troubles digestifs concourent au déplaisir ressenti par le sujet polyhandicapé à l’occasion des repas. « S’ajoutent à cela d’autres fardeaux qui potentialisent les difficultés à se nourrir comme un mauvais état buccodentaire, des reflux gastroœsophagiens et la constipation dont les prévalences sont très élevées dans cette population », explique-t-elle. Il n’existe pas de solution pour tous. « Il faut observer le sujet au moment du repas pour évaluer ses capacités de mastication, sa qualité et les troubles de la déglutition. »
Pour sécuriser la déglutition, elle conseille d’agir sur plusieurs points :
– Le positionnement de la personne : légère flexion des cervicales, angle de 90 degrés entre le dos et les cuisses, points d’appuis pour coudes et pieds, position anti-pesanteur quand il y a des troubles de position de la tête ;
– Le positionnement de son accompagnant : même hauteur et en face à face ;
– Limiter le bruit (dans une pièce au calme ou avec casque anti-bruit) et les stimulations visuelles (pare vue, lumière douce) pour favoriser la concentration du sujet ;
– La cuillère doit venir d’en bas pour faciliter la flexion des cervicales, on peut aider à la fermeture de bouche avec la main, appuyer sur la langue pour faciliter la propulsion du bol alimentaire. « Pensez donner une cuillère vide de temps en temps pour stimuler à nouveau la déglutition et éviter les fausses routes à la reprise de la respiration » ;
– La texture des repas et boisson doit être adaptée en s’inspirant de la nouvelle standardisation proposée par l’IDDSI, sans pour autant s’interdire des adaptations personnalisées.
Irène Benigni s’arrête sur le cas des sujets hyper réactifs qui manifestent des refus ou aversions alimentaires et une hyper sélectivité dans les goûts, les textures et les températures. Ces troubles sont retrouvés chez environ 30 % des sujets polyhandicapés. La diététicienne remarque chez eux une préférence pour les goûts sucrés, les textures onctueuses et des températures tièdes.
Après avoir éliminé les autres causes de refus alimentaire (douleurs dentaires, troubles gastro-intestinaux, éléments défavorables de l’environnement), elle conseille comme stratégie d’intervention auprès de ces sujets :
– une modification progressive de l’alimentation,
– de tester l’habituation sensorielle : exposition répétée de l’aliment sous différentes formes,
– de faire des massages intra-oraux (technique C Senez),
– de tenter une approche comportementale avec des renforçateurs (ou gratifications),
« On ne force pas quelqu’un à manger. On essaie de comprendre pourquoi et d’agir sur les causes », recommande-t-elle. En l’attente d’une désensibilisation, il faudra s’adapter aux goûts, températures, textures préférées, modifier l’ordre des plats, laisser manger avec les doigts, quitte à laisser faire les mélanges sucrés-salés. On pourra enrichir l’alimentation dans un objectif d’équilibre alimentaire.
Les troubles de l’oralité chez le polyhandicapé adulte. Irène Benigni. Journées Francophones de Nutrition. 28-30 nov 2018.